Regard de Serge Faucher agrégé d’arts plastiques dans Retenir ce qui tombe ».
« Tout cela pourrait commencer de bien des manières. Mais comme il est difficile de raconter cette histoire d’autant de façons, je dois me résoudre à en choisir une.
Cela pourrait ressembler à un souvenir qui se constituerait peu à peu dans une image composée comme un tableau. Sur le sol en damier qui rythme l’espace de la pièce, des masses sans formes tombent sans force, indifférentes à l’ordre qu’impose le sol, dans le cliquetis métallique bien particulier des ciseaux qui coupent les cheveux.
Enfin de quoi s’agit-il? D’écrire à propos du travail de Josiane Guitard-Leroux.
Josiane Guitard-Leroux a la particularité d’utiliser ses cheveux dans ses travaux. Au geste machinal qui consiste à retirer les cheveux pris dans les poils de la brosse pour les jeter dans la poubelle sans qu’on ait à y penser davantage, Josiane Guitard-Leroux les recueille.
Lorsque le cliquetis des ciseaux mêlé à ce son paradoxalement un peu gras et sec, des mèches que l’on coupe, cesse, le coiffeur se saisit d’un balai et dans le silence qui ne manque jamais de se faire à ce moment là, rassemble et pousse en les faisant glisser sur l’ordre imperturbable du carrelage, les touffes de cheveux éparses qui jonchent le sol, derrière une porte qui s’entrouvre sur l’obscurité.
Cette considération que Josiane Guitard-Leroux a pour ses cheveux qui tombent au fil des brossages quotidiens, le fait de ne pas s’en débarrasser, cette conservation, font qu’elle s’en trouve chargée, qu’elle va devoir prendre en charge cette partie de son corps qui pousse et qui tombe continuellement. Retenir ce qui tombe de son corps, le considérer pour voir s’il y a là, matière à penser, matière à faire, voilà peut-être le projet de Josiane Guitard-Leroux?
Donner forme à ce qui n’en a pas, nouer, tisser, tresser ce qui est emmêlé, tout cela rend visible ce que nous pourrions voir, ce que nous voulions regarder.
Frêle moment à l’invisible, réseaux ténus guidant notre regard sur le fil du visible.
Josiane Guitard-Leroux prend le regard du spectateur au piège de sa toile qu’elle tisse à partir de ce presque rien de son corps dont on sait quoi?
Cette manière de mettre un cheveu sur la soupe de nos certitudes, nous rappelle que notre foi à ne croire que ce que l’on voit, nous ment chaque fois que nous ne sommes pas capable de regarder.
Nouer ses cheveux au fil de leur chute c’est bien tisser le récit de la perte de son corps, préfigurer par ce jeu infiniment modeste son anéantissement.
Valéry disait que ce qu’il y a de plus profond chez l’homme c’est sa peau. Peut-être qu’en travaillant à la périphérie de celle-ci Josiane Guitard-Leroux éprouve cette profondeur en tressant la surface, une surface qui ne serait que surface.
Ce fil noué dans sa durée, cette trame d’espace et de temps est le récit qui raconte ce qui n’avait pas encore d’histoire! La partie morte du corps.
La déchéance des cheveux tombés semble d’autant plus grande qu’à l’idée de chevelure sont associées les idées de force et de fierté. Les cheveux qui tombent seraient le signe de la déchéance.
Dans « Pluie noire » d’Imamura, la jeune irradiée et condamnée dont les cheveux tombent par touffe entière sous la brosse, tend au spectateur un miroir tels ceux fabriqués dans la tradition des verriers de Nuremberg au XVème siècle et qui comportent la gravure d’un crâne qui vient se superposer à son reflet.
Mélancolie, préfiguration de la mort, motif qui motive tout récit, peut-être?
Montrer ce qui n’est pas regardé, tisser cette partie ténue et détachée du corps, peut-être que les travaux de Josiane Guitard-Leroux ne racontent que cela, mais en cela ils se posent déjà comme un échange. Échange produit par le frottement de l’être au monde. »