Dans les sociétés Kanak du Pacifique sud, le cheveu tient une place importante en tant que lien temporel & spatial, en particulier dans les cérémonies funéraires.
Les masques kanak étaient confectionnés avec les cheveux des personnes qui avaient en charge le corps du défunt durant les différentes séquences du deuil;
La tradition leur imposait de ne pas se couper les cheveux pendant toute la période des cérémonies. Les deuilleurs retenaient cette masse de cheveux dans une coiffe faite traditionnellement de tapa ( écorce battue), puis de tissu d’origine européenne.
Ils vivaient en reclus, coupés du monde séculier, en observant des interdits alimentaires comme ne pas toucher la nourriture de leurs mains sacralisées.
Lors de la fête de levée de deuil, qui avait lieu plusieurs années après le décès, les deuilleurs sortaient en découvrant leurs cheveux. La masse était construite en dôme, parfois armée de baguettes de bois ou de roseau. Elle était si importante qu’ils devaient la maintenir à deux mains. A l’issue de la cérémonie, leurs cheveux & leurs barbes étaient coupés pour servir d’attributs aux masques. Travaillés avec soin ils servaient à orner le dessus du crâne du masque et son menton.
Certaines femmes de haut rang se laissaient aussi pousser les cheveux pendant la durée du deuil, & les coupaient à son issue. Les masques se portaient comme un costume, cachant le corps. Le visage sculpté dans du bois avait la bouche ouverte pour permettre au porteur d’y voir. Il était surmonté d’un dôme imposant en cheveux & agrémenté d’une barbe également tressée en cheveux.
Des plumes montées sur un filet laissaient une amplitude de mouvement au porteur du masque. Il accompagnait le corps du défunt pendant son transport sur un brancard.
Les cheveux & les poils, qu’on laissait ainsi pousser pendant la période de deuil étaient le pendant de la jachère dans laquelle étaient maintenues les terres du défunt. Ce n’était qu’à la levée du deuil que ses possessions pouvaient être données en héritage & nettoyées. Signes du temps passé & de la douleur éprouvée, le rasage effaçait cette fonction mémorielle & permettait le retour à la vie.
Au pays kanak, une histoire d’amour, illustre le rôle des cheveux dans l’élaboration d’un mythe ainsi que dans dans les pratiques & les relations sociales qui en découlent.
Il s’agit du mythe du masque Kataybwadopia de Dakuruk à Hienghène, relaté par Emmanuel Kasarhérou dans le catalogue de l‘exposition « Cheveux chéris » du musée du quai Branly.
» La fille du soleil, fascinée par la beauté du jeune chef qu’elle voyait tous les jours venir se baigner dans la rivière au trou d’eau de Wéhény, l’habitat aquatique du masque, décida de descendre le retrouver & noua des cheveux pour en faire une longue tresse grâce à laquelle elle quitta son père, le Soleil, pour rejoindre celui qu’elle désirait. Au moment où elle toucha terre, sur le tertre du chef à Ngunhméno, son père, le Soleil, détacha la longue tresse de cheveux qui tomba sur le sol & se transforma en un long & bel écheveau de poil de roussette tressé, rouge comme le Soleil, qui s’enroula autour d’elle, l’enveloppant comme un abri. C’est ainsi qu’elle devint l’épouse du chef. »
La présence récurrente de tresses de poils de roussette dans les objets confectionnés par les Kanak s’explique donc à la lumière de ce mythe. Patiemment tressés autour d’une âme en fil végétal & teints en rouge brun, les poils de roussette sont utilisés pour réaliser toutes les armes de parades, les colliers, les ornements corporels & pouvaient aussi servir de monnaie d’échange. La couleur obtenue est associée aux chefs, car elle évoque autant la couleur du sang que celle du soleil.
Substitut du poil humain, le poil de roussette indique le lien qui existe entre l’humain & le non-humain, l’homme & ses ancêtres.
Ce continuum se retrouve dans la langue. En ajïe, langue du centre de la Grande Terre de Nouvelle-Calédonie, le terme « pûnû » désigne toutes les extrémités fines & effilochées. Il deviendra cil, cheveu, ou poil pubien selon le déterminant qui le suit précisant la partie du corps humain concernée. Suivi du nom d’un animal il signifiera le poil de roussette, la crinière du cheval, la plume du pigeon ou du héron.
L’identité de nature commune à ces phanères, due à la kératine présente dans chacun d’entre eux, est ainsi bien indiquée. Ce terme peut même se trouver devant un nom de plante pour désigner ses fleurs à longues étamines.
La manifestation pileuse qui existe dans l’humain, l’animal & le végétal est dotée d’une forte valeur symbolique en Nouvelle-Calédonie.
Comme dans un grand nombre de lieux une abondante pilosité est signe de virilité. La chevelure était donc l’apanage des hommes jeunes, les femmes portaient les cheveux courts & les hommes âgés dissimulaient la perte de leurs cheveux sous des turbans en tapas ou des coiffes de cérémonie pour les plus importants d’entre eux.
La barbe s’associe aux cheveux pour indiquer la maturité & la vitalité de l’individu qui la porte. Très soignées, huilées, tressées, les barbes sont représentées par de lourdes tresses nouées & fixées sous le menton des masques. Elles étaient rasée lors de certaines occasions.
Le passage dans le monde adulte pour les jeunes des îles Loyauté, la réconciliation de deux ennemis, les retrouvailles entre amis séparés de longue date.
Cheveux & poils détenteurs du fluide vital après la mort ne sont jamais abandonnés à la légère après leur taille. Leur possession par un tiers pourrait servir dans un rituel magique et menacer de mort l’imprudent ou le faire succomber à un charme amoureux. Les cheveux coupés sont collectés pour être brûlés ou enterrés.
Les Kanak s’expriment par la création artistique. C’est lors d’une visite à l’exposition « Kanak, l’art est une parole » , en 2014 au musée du quai Branly , portant sur les rites funéraires de cette population que j’ai découvert le rôle des cheveux dans leur société. Leur utilisation pour fabriquer les masques de deuil révèle une extraordinaire maîtrise du matériau.